Notre chromosome Y est une véritable archive pouvant révéler l’histoire de notre lignée d’hommes. L’ADN formant le chromosome Y est transmis de père en fils. A l’occasion, une nouvelle mutation se produira qui viendra s’ajouter à celles déjà accumulées et l’ensemble sera transmis héréditairement aux descendants masculins.
Ces mutations ponctuelles sont appelées des SNP pour, en anglais, <Singular Nucleotic Polymorphism>. Pour en savoir davantage sur les SNP, lire http://bit.ly/2fSG9Rq Au cours de l’histoire phylogénétique (Note 1) du chromosome Y d’une lignée d’hommes comme celle des Beaugrand-Champagne, ces SNP se sont produits dans un ordre qu’il est possible de reconstituer en alignant les signatures SNP trouvées auprès d’hommes appartenant à différentes lignées. Cet ordre d’apparition révèle ainsi l’histoire phylogénétique de l’ADN-Y d’une ou de plusieurs branches d’hommes qui partagent ces SNP. L’arbre phylogénétique des différents ADN du chromosome Y repose sur cet ordre d’apparition des SNP, et sert à définir l’haplogroupe auquel un ADN-Y particulier appartient. Un exemple d’arbre phylogénétique, avec la position des hommes Beaugrand-Champagne, peut être visualisé en ligne à https://bit.ly/3m5nKSQ
Les Beaugrand-Champagne (BC) se trouvent dans le bloc BY3616. Dans cette arborescence phylogénétique (ou cladistique), le chromosome Y de Raymond BC est représenté par la feuille verte YF79919 et le mien par la feuille YF09590. Pour rappel, Raymond est de la branche de Pierre-Simon et je suis de la branche d’Antoine. Au total, 18 générations nous séparent de notre ancêtre commun le plus récent (ACPR), nommément Jean BC, fils de Gean et Marguerite Samson. Et pourtant, au cours de ces 18 événements générationnels nos deux chromosomes Y sont demeurés identiques, à l’exception de deux SNP personnels qui serviront peut-être éventuellement à distinguer nos deux branches généalogiques respectives. Je reviendrai sur ce sujet dans une autre rubrique.
Le chromosome Y des BC appartient donc à l’haplogroupe R-Y109619. L’arbre illustré à https://bit.ly/3m5nKSQ est extrêmement touffu et c’est difficile de situer la position d’une branche d’hommes. Heureusement, notre position dans l’arbre peut être résumée par un « parcours » phylogénétique (ou cladistique) qui débute en Afrique avec les grands primates et qui se rend jusqu’à nous. Voici notre « branche », à savoir le parcours phylogénétique qui a été suivi par nos ancêtres jusqu’à nous.
[Premiers hommes] > A0T-A2752 > A1-L985 >A1b-Z11900 >BT-M9379 >CT-CTS11575 > CF-PF2723 >F-CTS11726 > GHIJK-M3684 > HIJK-PF3494 > IJK-PF3497 > K-PF5459 > K2-PF5979 > K2b-PF5990> P-PF5850 > P-M1254> P-PF5867> P-P337> P-P284> P-P226 > R-L248 > R-Y482> R1-F211> R1b-PF6090 >R-L754> R-L389> R-P297> R-M269> R-L23> R-L51> R-L52> R-L151> R-P312> R-U152 > R-L2 > R-Z49 > R-Z142 > S7402 (Z150) > R-BY3616 (L552) > R-Y109619 (nous)
Chaque étape dans ce parcours représente un homme qui a été notre ancêtre. Dans ce parcours, le signe > correspond à une descendance. Ainsi « A1-L985 > A1b-Z11900 > BT-M9379 » signifie qu’un homme appartenant à l’haplogroupe A1-L985 est l’ancêtre d’un homme appartenant l’haplogroupe A1b-Z11900 et que A1b-Z11900 est le descendant de A1-L985. A1b est également l’ancêtre de BT. BT descend de A1b. La descendance n’implique pas être le fils de l’ancêtre mais plutôt être un descendant de celui-ci.
La notation de chacune des étapes de ce parcours comprend d’abord le label de l’haplogroupe majeur d’appartenance de cette étape, suivi du label du SNP qui sert de critère pour appartenir à cet haplogroupe ou à une subdivision de cet haplogroupe. Ainsi, le chromosome Y des BC est noté « R-Y109619 », signifiant que notre chromosome Y appartient à l’haplogroupe majeur R et à la subdivision –appelée sousclade– Y109619 de cet haplogroupe.
Plusieurs lignées d’hommes partagent le même parcours depuis les origines en Afrique jusqu’à un certain homme ou SNP dans le parcours, pour ensuite bifurquer de la branche commune à un SNP particulier pour former un parcours ou une branche spécifique. Ainsi, les Perreault (à Pierre) et les Soucy se séparent de notre branche commune au SNP S7402, et les Belhumeur quittent notre branche au SNP Z142. Plus près de nous, des Greenwell (d’Angleterre) et Quévillon (de France) partagent avec nous la branche commune jusqu’au SNP BY3616. C’est donc dire que ces lignées d’hommes étaient fusionnées en une seule branche humaine qui était aussi la nôtre. Nous partageons donc en commun tous les ancêtres du tronc commun jusqu’au point où notre branche s’est écartée de leurs branches.
Mais cette séparation s’est faite bien avant l’apparition et la consolidation des noms de famille en Europe. Pour vous donner une idée, l’ancêtre commun entre nous, les Greenwell et les Quévillon aurait vécu il y a environ 2,000 ans, à l’époque de la conquête romaine. Nous ne sommes donc pas parents dans un horizon généalogique.
Le parcours phylogénétique de notre lignée peut être traduit en un trajet approximatif sur le plan géographique. Pour ce faire, il faut connaître la distribution géographique des divers types d’ADN-Y, quelles <ethnies> le possédaient, tenir compte des jalons archéologiques fournis par l’ADN ancien et des contraintes géographiques (montagnes, mers, &c). Il est ainsi possible de dégager un trajet vraisemblable de peuplement de nos ancêtres patrilinéaires depuis l’Afrique jusqu’à nous.
Ce trajet peut être généré en ligne en allant à https://bit.ly/38TCHBE et en saisissant, en haut de la page, la valeur BY33606 (qui est un SNP synonyme du SNP Y109619), et en sélectionnant le signe mâle puis en pesant sur Go. Le trajet sera alors généré. Il devrait ressembler à la Figure 1.1.

Les SNP listés sur cette figure (ou simulation de peuplement) peuvent être différents de ceux qui font partie du parcours que j’ai présenté plus haut. Ce sont cependant des SNP synonymes, qui varient selon les plateformes qui analysent les résultats des tests d’ADN-Y.
Ce trajet se termine au point jaune, au Moyen-âge, et apparemment en Champagne (France). Après tout qui oserait penser que notre ancêtre Gean Beaugrand-Champagne ne venait pas de Champagne ?
Que peut-on inférer de ce trajet de peuplement ou de migration sans tomber dans le romantisme tribal ou ancestral ?
D’abord, que nos ancêtres ont été pour au moins 95% de leur histoire et parcours — pour toute la durée du Paléolithique — des cueilleurs-chasseurs, et des nomades. Ils sont partis d’Afrique et, de génération en génération, ont migré vers le Nord jusqu’en Sibérie et en Asie occidentale. Ils y ont probablement chassé le mammouth et d’autres grands mammifères aujourd’hui éteints. Ils avaient probablement les yeux bridés et la peau brune et se sont croisés avec l’homme de Néandertal qui leur a transmis la peau claire et la possibilité d’avoir les yeux bleus. Durant la plus récente glaciation, leurs descendants se sont probablement réfugiés plus au Sud pour ensuite peupler, au Mésolithique, la steppe pontique (R-L389 à R-L23). Au Néolithique ils pratiquaient le pastoralisme et étaient devenus éleveurs de chevaux, de bœufs et d’ovins. Cette civilisation est celle de la culture Yamna. Ce sont eux qui inventèrent la roue et la charrette, qui domestiquèrent le cheval et le bœuf. Les éleveurs et guerriers Yamna se déplaçaient à cheval. Ils enterraient leurs morts dans des sépultures individuelles, en fosse. Il débutèrent la métallurgie. Pour en savoir davantage sur la civilisation Yamna, lire http://bit.ly/2IpKqZM
Plusieurs études récentes reposant sur l’ADN ancien supportent l’hypothèse que les Yamna venant de la Steppe pontique seraient à l’origine de la culture de la céramique cordée qui s’est établie à l’ouest du Danube (SNP R-L51 et R-L52 dans le parcours de SNP). Lire: https://bit.ly/3eRHNCY

Certains de ces derniers formèrent des groupes de cavaliers à la hache de combat et envahirent l’Europe occidentale au début du 3e millénaire avant notre ère. En deux siècles, ils remplacèrent les hommes locaux, ne conservant que leurs femmes. Nous le savons par l’ADN mitochondrial transmis uniquement par les femmes. L’ADN du chromosome Y des autochtones a presque disparu chez les hommes alors que l’ADN mitochondrial est demeuré le même. Ce remplacement de la composition de la population autochtone, composée essentiellement de cueilleurs-chasseurs et d’agriculteurs, a été mis en évidence en Grande Bretagne, en France orientale et en péninsule ibérique (Lire le livre de David Reich: https://bit.ly/3p0Bjny à ce sujet). Nous ne savons pas encore comment se fit ce brusque <remplacement>, à savoir par des massacres ou autrement. C’est à suivre.
La chaîne de SNP U152>L2>Z49>Z142>Z150 de la fin du parcours des hommes Beaugrand-Champagne se développa chez nos ancêtres au Néolithique en Europe. Les hommes qui possédaient ces SNP étaient des descendants des cavaliers envahisseurs. Ces SNP sont caractéristiques de certains descendants de la culture Hallstatt, puis de La Tène, qui donnèrent lieu aux Celtes alpins au Nord de l’Italie, entre la Bavière actuelle, l’Autriche et la Suisse. La Figure 3-1 illustre la région où se sont développées les cultures Hallstatt et La Tène. Pour en savoir davantage sur ces cultures, lire: https://bit.ly/3tAOHjR

De nombreuses tribus sont issues ou participèrent à la culture Hallstatt, puis à celle qui lui succéda, celle de La-Tène. Ces tribus contribuèrent à l’expansion du monde celte qui s’étendit de l’Europe occidentale jusqu’en Asie et au Nord jusqu’en Scandinavie.
Les hommes possédant les SNP U152>L2 sont particulièrement présents de nos jours dans la région de la Specia et de Massa (au Sud-Est de Bologne), de même que de Trévise (près de Venise) où ils y représentent respectivement 67% et 80% de tous les U152. Ces villes sont indiquées sur la Figure 4-1. Il est donc possible qu’un de nos ancêtres ait vécu dans ces régions qui formaient à l’époque la Gaule cisalpine du Nord de l’Italie. Après de nombreux conflits avec leurs voisins romains, les gaulois cisalpins furent définitivement défaits près de Mutina (actuelle Modène) et leur territoire devient alors une province romaine, la Gaule cisalpine, qu’administra Jules César. C’est parmi ces celtes fraîchement conquis que ce dernier puisa une grande partie de ses légionnaires pour partir à la conquête de la Gaule transalpine et de la (Grande) Bretagne. À la fin de leur service comme légionnaires, les soldats qui le souhaitaient recevaient un lot de terre pour s’y établir. C’est peut-être ainsi qu’un de nos ancêtres patrilinéaires s’est retrouvé en Europe occidentale, en Gaule romaine ou en Bretagne romaine. Notre ancêtre a pu être un enfant engendré par un légionnaire en pays occupé, ou même avoir été un esclave.

Il faudra attendre les découvertes faites par l’archéologie génétique pour en savoir davantage sur nos ancêtres. Maintenant que nous connaissons bien la génétique du chromosome Y de nos ancêtres patrilinéaires, l’archéologie génétique pourra nous révéler l’appartenance « tribale » de certains de nos ancêtres et leur trajet de peuplement jusqu’en Europe occidentale.
L’étude du chromosome Y des sépultures anciennes commence à livrer des résultats assez surprenants. Ainsi, la recherche génomique faite par Margaryan et al. (2020) (2) nous révèle qu’un Viking enseveli en Suède, à Varnhem, entre les 10 et 12e siècle possédait les mêmes SNP que les hommes de notre lignée. Cette région avait apparemment été peuplée par des celtes germaniques, les Teutons ( https://bit.ly/2QFp1o7 ). J’attends donc la publication des résultats du séquençage complet de son chromosome Y pour calculer à quelle époque a vécu notre ancêtre commun.
Parallèlement au fait de suivre attentivement ce qui se publie en archéogénétique, ma recherche de signatures ADN-Y concordantes avec la nôtre se poursuit mais c’est devenu difficile étant donné l’interdiction des tests ADN en France.
Nous savons que les Beaugrand de la région du Pas de Calais et du Limousin en France n’ont pas les mêmes origines que nous. Le site du projet Beaugrand à FTDNA (à http://bit.ly/1MyFBMm ) montre de plus que les signatures de plusieurs lignées de Beaugrand / Bogran ne concordent pas avec la nôtre.
Le fait que notre ancêtre Gean signait Bougeren et Bougueren et non Beaugrand me suggère fortement que son nom de famille n’était pas Beaugrand, un nom bien établi en France à son époque. Je tente donc depuis plus d’une décennie de connaître la signature ADN-Y d’hommes Bougaran (de Bretagne) et Bougeren (de Flandres) en leur offrant des tests gratuits, mais sans succès jusqu’ici. J’en suis rendu à leur offrir une récompense si un « match » se produisait. Or, les français et belges demeurent très craintifs et suspicieux à l’égard des tests ADN.
Jacques Beaugrand, Ph.D.
30 mars 2021
beaugrand.jacques@uqam.ca
Notes:
(1) La phylogenèse est le processus par lequel les organismes vivants donnent lieu à des descendants qui sont différents d’eux. Ainsi, les oiseaux sont les descendants d’une espèce de dinosaure. Dans le cas de l’ADN du chromosome Y, c’est l’équivalent de la généalogie des SNP à travers les lignées d’hommes. Pour en savoir davantage sur la Phylogénétique moléculaire, lire https://bit.ly/399jDAf
(2) Margaryan et al. (2020). Population genomics of the Viking world. Nature, 585, pp 390–396.