Les premiers humains qui peuplèrent les Amériques

Par Melissa Hogenboom
30 mars 2017

(Traduit par Jacques P. BEAUGRAND) 

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Il y a plusieurs milliers d’années, aucun être humain ne vivait dans les Amériques.
Cela n’a changé qu’au cours de la dernière période glaciaire. À cette époque, la majeure partie de l’Amérique du Nord était couverte d’une épaisse couche de glace, ce qui rendait les Amériques difficiles à habiter.
Or  à un moment donné pendant cette période, des humains aventureux ont entamé leur voyage dans un nouveau monde.
Ils sont probablement venus à pied de la Sibérie à travers le pont formé par le Bering Land, une langue de terre qui existait entre l’Alaska et l’Eurasie entre la fin de la dernière période glaciaire jusqu’à environ 10 000 ans. La zone est maintenant submergée par l’eau.
Il subsiste un débat à propos de la date à laquelle ces premiers Américains sont arrivés. Mais nous nous rapprochons de la découverte du récit original et de qui étaient ces premiers Américains.

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pour les figures originales  s.v.p. référer à l’article en ligne en anglais à  http://bbc.in/2nHlfJS

Au cours du dernier LGM [https://cerbere.ca/lexique/?s=LGM]  il y a environ 20 000 ans, un voyage d’Asie vers les Amériques n’aurait pas été particulièrement souhaitable. L’Amérique du Nord était couverte de pergélisol glacé et de grands glaciers. Mais, paradoxalement, la présence de tant de glace signifiait que le voyage était, en quelque sorte, plus facile qu’il ne le serait de nos jours.
L’abondance de glace signifiait que les niveaux de la mer étaient beaucoup plus bas qu’ils ne le sont aujourd’hui, et une étendue de terre a émergea entre la Sibérie et l’Alaska. Les humains et les animaux pouvaient alors simplement marcher de l’Asie à l’Amérique du Nord. Le pont terrestre a été appelé depuis la Béringie [https://fr.wikipedia.org/wiki/B%C3%A9ringie].

Dans ces temps connus sous le nom de Dernier Maximum Glaciaire (LGM), des groupes de chasseurs-cueilleurs se sont déplacés vers l’est de ce qu’est actuellement la Sibérie pour y installer le camp.
« Les premières personnes qui sont arrivées en Béringie étaient probablement en petits groupes très mobiles qui évoluaient dans un vaste espace, probablement en fonction de la disponibilité des ressources saisonnières », explique Lauriane Bourgeon, de l’Université de Montréal, au Canada.

Ces gens ont bien fait d’y chercher refuge. La Béringie centrale était un environnement beaucoup plus souhaitable pour ces humains que les terres glacées qu’ils laissaient derrière eux. Le climat étaient moins rigoureux. La végétation, sous la forme d’arbustes ligneux, leur donnait du bois qu’ils pouvaient brûler pour se réchauffer.

La Béringie était également un environnement idéal pour les grands mammifères brouteurs, ce qui donne aux chasseurs-cueilleurs quelque chose à chasser, explique Scott Elias de la Royal Holloway de l’Université de Londres au Royaume-Uni, qui étudie les climats anciens.

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http://ichef.bbci.co.uk/wwfeatures/wm/live/1280_720/images/live/p0/4y/9m/p04y9mm9.jpg

« Notre hypothèse est que ces gens utilisaient les arbustes ligneux du pont terrestre pour enflammer les os sur place. Les os des gros animaux contiennent beaucoup de dépôts gras dans la moelle et ils brûlent facilement ».
Quand les humains sont arrivés en Béringie, ils n’eurent pas eu d’autre choix que de s’y installer. En effet, les vastes étendues des glaciers Laurentien plus au Sud et de la Cordillère plus à l’Est leur coupaient le passage pour s’introduire en Amérique du Nord.

Il est maintenant clair qu’ils sont demeurés sur place en Béringie pendant plusieurs milliers d’années. Cette hypothèse s’appelle *Standstill Beringia* [L’Arrêt en Béringie]. Selon une étude de 2007, cet arrêt aurait permis à ces groupes isolés de devenir génétiquement distincts de ceux qu’ils avaient laissés derrière.
Ce long arrêt a donc signifié que les personnes qui sont arrivées dans les Amériques – lorsque la glace s’est retirée et permis leur entrée – étaient génétiquement différentes des individus qui avaient quitté la Sibérie il y a des milliers d’années plus tôt. [Note de pjb: les ancêtres des Béringiens n’étaient pas les Sibériens. Ils étaient apparentés génétiquement aux Tibétains; la Sibérie s’est peuplées après l’occupation de la Béringie; il y a eu aussi des migrations retour de la Béringie vers la Sibérie]  « Peut-être que l’une des parties les plus importantes du processus est ce qui s’est passé en Béringie. C’est à ce moment-là qu’ils se sont différenciés des Asiatiques et ont commencé à devenir des Amérindiens », a déclaré Connie Mulligan, de l’Université de Floride à Gainesville, aux États-Unis, qui a participé à cette première analyse.

Depuis lors, d’autres observations génétiques sont venues supporter cette hypothèse de l’arrêt en Béringie. ELIAS et al. ont proposé que cet arrêt dura plus de 10 000 ans.

 

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Lorsque la glace a finalement commencé à se retirer, des groupes d’humains se sont ensuite rendus dans différentes endroits des Amériques.
On a longuement débattu de la question de savoir si ces premiers colons étaient arrivés à l’occasion de plusieurs migrations de différentes régions, ou en une seule.
Il y a plus de 20 ans, MULLIGAN a proposé qu’il y ait eu une seule migration depuis la Béringie vers le «Nouveau Monde». Elle est venue à cette conclusion en analysant les variations génétiques de l’ADN des Amérindiens modernes et en les comparant aux variations en Asie. Le même motif rare est apparu chez tous les Amérindiens qu’elle a étudiés, mais apparaissait très rarement chez les Asiatiques modernes. Cela signifiait que les Amérindiens provenaient probablement d’une seule population de personnes qui vécurent en Béringie, isolées depuis de nombreuses années.
En 2015, une étude utilisant des techniques génétiques plus avancées a abouti à une conclusion similaire. Rasmus NIELSEN de l’Université de Californie, à Berkeley, aux États-Unis, et ses collègues ont constaté que la vaste majorité des Amérindiens devait provenir d’une unique colonisation.

« Il n’y a pas eu de bouleversement  ou de changement important dans (le genepool de)  la population, comme certains en ont déjà fait l’hypothèse », explique NIELSEN. En fait, environ 80% des Amérindiens d’aujourd’hui sont des descendants directs des hommes de Clovis qui vivaient en Amérique du Nord il y a environ 13 000 ans. Cette affirmation s’appuie sur l’étude génétique en 2014 d’un garçon âgé d’un an qui vécut à l’époque Clovis et qui est mort il y a environ 12 700 ans. [Note: les motifs génétiques de cet enfant se retrouvent chez les Amérindiens modernes; un seul cas; sur la culture Clis cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_Clovis ]

Or, nous savons maintenant qu’il a dû se produire plusieurs migrations décalées depuis la Béringie.

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Ceci est suggéré par le fait que des petits groupes de personnes dans la région amazonienne de l’Amérique du Sud – comme les Suruí et les Karitiana – représentent un mystérieux « flux génétique arctique », sans rapport avec l’ADN du garçon de Clovis. Une autre étude de 2015 a donc proposé qu’il y ait eu plus d’une «population fondatrice des Amériques».
L’équipe de chercheurs a trouvé que les populations indigènes des Amériques présentent des liens génétiques éloignés en commun avec les personnes d’Australie, de Papouasie-Nouvelle-Guinée et des îles Andaman.
Cela signifie, dit Pontus SKOGLUND de l’Université de Harvard à Boston, dans le Massachusetts, que les gens sont venus en Béringie à différents moments au cours de l’arrêt et ont ensuite peuplé différentes parties des Amériques. Ces premières dispersions sont encore reflétées par les différences dans les génomes des personnes vivant aujourd’hui.
« Il ne s’agissait pas d’une seule population fondatrice homogène. Il devait y avoir chez les Béringiens un certain type de *patchwork* de personnes, et peut-être que sont produites de multiples vagues successives d’arrivées et de sorties de Béringie », explique SKOGLUND.
En d’autres termes, les habitants béringiens ne sont pas tous arrivés ou partis en même temps.
Cela a du sens lorsque nous considérons que la Béringie n’était pas un pont terrestre étroit bordé d’océans de chaque côté. «C’était une grande région de deux fois plus grande que celle du Texas», explique Elias. Les gens qui vivaient là-bas n’auraient eu aucune idée du fait qu’il s’agissait d’un pont terrestre. « Il n’y avait pas de panneaux de signalisation indiquant qu’ils quittaient la Sibérie ».
Cela rend très probable qu’il y ait eu différents groupes d’habitants béringiens qui ne se sont jamais rencontrés.
Une étude publiée en février 2017 renforce encore cette idée. Après avoir examiné les formes de crânes âgés de 800 à 500 ans en provenance du Mexique, les chercheurs ont constaté qu’ils étaient tellement particuliers que les personnes auxquelles ces crânes appartenaient devaient être demeurées isolées génétiquement pendant au moins 20 000 ans pour obtenir de tels effets.

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Pour comprendre qui furent vraiment les premiers Américains, nous devons considérer le moment ou ils sont arrivés. Le *timing* exact est difficile à définir. Le travail de Nielsen donne un aperçu. En séquençant des génomes d’humains des Amériques, de la Sibérie et de l’Océanie,  lui et ses collègues voulurent savoir quand ces populations se mirent à diverger. L’équipe arriva à la conclusion que que les ancêtres des premiers Américains étaient arrivés en Béringie à un moment donné entre 23 000 ans et 13 000 ans avant notre ère.
Nous avons maintenant des preuves archéologiques suggérant que les personnes qui ont quitté la Sibérie – puis la Béringie – l’ont fait même avant la limite de 23 000 ans proposée par NIELSEN et ses collègues. En janvier 2017, Lauriane BOURGEON et son équipe a trouvé des indices indiquant que des gens vécurent dans un système de grottes appelées Bluefish Caves, dans le nord du territoire du Yukon, au Nord-Ouest du Canada et datant il y a 24 000 ans. On croyait auparavant que les gens n’étaient arrivés dans cette région que 10 000 ans plus tard.
« Ils sont arrivés en Béringie il y a plus de 24 000 ans et ils sont demeurés isolés génétiquement et géographiquement jusqu’à environ 16-15 000 ans,  avant d’être en mesure de se disperser plus au Sud des glaciers qui recouvraient la majeure partie de l’Amérique du Nord à cette période », explique BOURGEON.

Les grottes «n’étaient utilisées que pour de brèves occasions d’activités de chasse», dit-elle. « Nous avons trouvé des marques de coupe sur les os de chevaux, de caribous et de wapiti, alors nous savons que les humains comptaient sur ces espèces pour survivre ».

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Ce travail fournit des indices supplémentaires voulant que les gens étaient dans la région de la Béringie à un stade précoce. Mais il ne révèle pas les dates exactes auxquelles ces personnes se sont aventurées plus au sud.
Pour cela, nous pouvons nous tourner vers des indices archéologiques. Pendant des décennies, les outils en pierre laissés par les gens de Clovis ont été trouvés dans toute l’Amérique du Nord. Certains datent il y a 13 000 ans. Cela pourrait suggérer que les humains se sont déplacés vers le sud très tard. Mais au cours des dernières années, des preuves ont commencé à émerger et remettent en cause cette idée.

Ainsi sur un site appelé Monte Verde dans le sud du Chili, il existe des signes d’occupation humaine qui se situe entre 14 500 et 18 500 ans. Nous savons que ces personnes ont construit des feux, ont mangé des fruits de mer et utilisés des outils en pierre – mais parce qu’ils n’ont pas laissé de restes humain,  ce groupe précoce reste mystérieux.
« Nous en savons très peu, car la plupart des restes conservés sont des outils en pierre et parfois des os des animaux, donc de la technologie et de l’alimentation », explique Tom DILLEHAY de l’Université Vanderbilt au Tennessee, aux États-Unis, qui étudie ces personnes. « Monte Verde dans le centre-sud du Chili, où je suis actuellement, présente plusieurs restes organiques – peaux d’animal, viande, restes végétaux qui révèlent un régime plus large, la technologie du bois – mais ces types de sites sont rares ».
Une autre énigme demeure. Les glaciers couvraient encore l’Amérique du Nord il y a 18 500 ans, rendant difficile le voyage vers le sud. Comment les gens sont-ils arrivés tôt dans le sud du Chili?

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Une première explication a été qu’un couloir sans glace se soit ouvert, ce qui permettait aux humains de voyager vers le sud. [Note un peu comme Moise traversant la Mer morte! Difficile de se sortir de nos vieux schèmes!].   Cependant, les dernières preuves suggèrent que ce couloir ne s’est ouvert qu’il y a environ 12 600 ans, longtemps après l’arrivée de ces premiers Chiliens.
Elias souligne également combien ce voyage aurait été difficile. « Même s’il y avait un petit écart entre ces énormes couches de glace, l’environnement laissé dans cet écart aurait été si horrible, avec de la boue, de la glace,  l’eau de fonte et de la boue. Il n’aurait pas non plus été un endroit habitable ni pour les voyageurs, ni pour les animaux à partir desquels ils aurait voulu suivre « , dit-il. [Note: À moins qu’ils n’aient suivi les troupeaux de Caribou et autres grands mammifères qui leur permirent de s’alimenter en route.]
Il y a une alternative. Ces premières personnes auraient pu voyager en bateau, en empruntant une route le long de la côte du Pacifique. Il n’y a pas de preuve archéologique pour étayer cette idée, mais ce n’est pas tout à fait inattendu: les bateaux en bois sont rarement conservés dans les archives archéologiques. [Note: les bateaux en peaux existaient probablement aussi à cette époque; ils pouvaient aussi se déplacer à pied sur le littoral]
De nombreuses questions demeurent sans réponse, mais MULLIGAN prétend que l’étude du comment et du quand les premiers chasseurs-cueilleurs pénétrèrent en Amériques peuvent nous aider à comprendre le processus de la migration lui-même, c’est-à-dire comment la taille de population varie et quels traits génétiques persistent.
À bien des égards, le peuplement de l’Amérique présente aux scientifiques une occasion en pour étudier ces processus. Il y a eu de nombreuses migrations à l’intérieur et à l’extérieur d’autres régions du monde – Afrique, Europe et Asie, par exemple. Mais les personnes qui déménagèrent vers les Amériques étaient dans un voyage à sens unique. « Nous savons que les habitants originaux sont venus d’Asie vers le Nouveau Monde sans savoir si d’autres personnes les attendaient là-bas,  et que des migrations importantes de retour ne se sont pas produites, donc nous sommes en présence du modèle le plus simple que nous puissions concevoir ».
Qu’il s’agisse d’un voyage à sens unique, conjugué à l’intérêt croissant pour l’étude de la génétique de ces personnes anciennes, nous devrions bientôt comprendre encore davantage qui furent ces premiers Américains et quand précisément ils sont arrivés.

Melissa Hogenboom est l’éditeur associé de BBC Earth. Elle est @melissasuzanneh sur Twitter.

Lire aussi en français: http://bit.ly/2nnApRq