*Métissages amérindiens perdus

Des personnes testées ayant des origines amérindiennes avérées sur le plan documentaire rapportent souvent le fait que cette contribution amérindienne n’apparait pas dans leurs métissages suite à la passation d’un test portant sur leur ADN autosomique, soit un Family Finder (FTDNA), un 23andme, myHeritage ou un Ancestry.

Plusieurs explications sont possibles. Elles ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent contribuer de pair à masquer la contribution amérindienne.

1. Les métissages amérindiens furent confondus à des métissages asiatiques.
Il est possible que vos métissages amérindiens aient été rapportés lors du test comme étant un apport de l’Asie centrale ou du Sud-ouest. En effet, étant donné les origines asiatiques des aborigènes américains, les motifs amérindiens sont parfois confondus avec des motifs asiatiques, voire centre-eurasiens. Néanmoins, le fait que les métissages amérindiens ne soient pas rapportés comme tels et non comme des motifs amérindiens dénote déjà un manque de validité instrumentale que je discuterai plus loin.

2. Vos résultats de recherches documentaires sont invalides.
Il faut rigoureusement revérifier vos origines et bien établir les sources permettant de fonder l’origine des membres de chacun des couples des lignées métissées, ce qui n’est pas toujours possible. Plusieurs couples étaient homonymes. Les services d’un généalogiste professionnel (e.g. Denis BEAUREGARD de FrancoGène) pourront faire cette vérification pour vous.

3. Il s’est produit une interruption de la transmission de l’ADN.
Un ÉNP ou Événement non parental s’est produit dans cette lignée et la lignée métissée a été interrompue partiellement ou complètement. Les ÉNP comprennent les adoptions, assimilations silencieuses, infidélités (chercher ce concept dans la fenêtre du haut à droite).
L’existence d’un ÉNP est parfois vérifiable par triangulation.

4. Il s’est produit une perte générationnelle des motifs amérindiens.

Cette perte est inévitable et se produit à chacune des générations.
Les motifs amérindiens dans notre ADN autosomique sont détectables par des modèles d’exploration AIMs, pour Ancestry Informative Markers. Un AIM est composé d’un ou plusieurs polymorphismes d’état (SNP) ou de répétitions de type STR (voir les définitions de ces concepts en cherchant *SNP et *STR)

Ces AIMs sont dégagés à l’aide d’analyses statistiques du type régression canonique et discriminante. Plusieurs populations ethniques humaines sont comparées entre elles et les motifs permettant de discriminer les membres de ces diverses populations sont identifiés.
La discrimination entre les diverses populations se fait donc à partir de plusieurs AIMs qui varient selon les ethnies et qui, lorsque combinés entre eux, permettent de classer avec un succès significativement élevé le sujet qui possède cet ensemble de AIMs dans l’une ou l’autre des populations cibles. L’instrument visant à établir les métissages comprend plusieurs ensembles de ces AIMs, autant que de dimensions ethniques qui sont cherchées à établir.  Les AIMs sont construits pour détecter la présence de motifs prédéfinis, précis,  qui existent dans une population d’origine sur lesquelles ils ont été en principe validés.

Or, les motifs se fragmentent de génération en génération et deviennent indétectables après plusieurs générations.

Au moment de la méiose* (expliquée à http://bit.ly/1dY0P81) et de la formation des gamètes*, les motifs possédés par un des futurs parents se fragmentent et s’enjambent. Ceci est suivi d’un brassage intra-chromosomique impliquant un échange d’allèles au sein d’une paire de chromosomes. Le nouveau chromosome de la gamète ainsi assemblée et qui sera transmise au descendant ne possède donc pas toujours tous les motifs du parent mais uniquement certains d’entre eux. Les motifs perdus à cette étape ne se retrouveront pas chez le descendant à moins qu’ils ne soient transmis par l’autre parent.

La Figure 1 illustre graphiquement la nature aléatoire de la transmission de l’ADN autosomique d’un parent à son descendant. La fragmentation suivie d’une recombinaison et d’une transmission partielle dénature graduellement les motifs originaux qui deviennent soit méconnaissables par un AIM ou carrément éliminés après quelques générations.

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Figure 1. Nature aléatoire et partielle de la transmission de l’ADN autosomique d’un parent à son descendant.

De plus, chacune des générations divise par deux la contribution en ADN autosomique d’un ancêtre à son descendant. Ainsi, un petit-fils ne possède que 25% en moyenne de l’ADN-AU de sa grand-mère. La plupart des contributions amérindiennes au pool génétique des français du Canada se sont faites au début de la colonie, vers 1650. Avec un intervalle intergénérationnel moyen de 30 ans, cela représente entre 12 et 13 générations. La Figure 2 illustre le pourcentage moyen d’ADN-AU transmis au descendant en fonction du nombre de générations qui séparent l’ancêtre et son descendant.

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Figure 2. Pourcentage d’ADN autosomique transmis à un descendant par un ancêtre en fonction du nombre de générations qui les sépare. Après 12 générations, un descendant ne reçoit en moyenne que .024% de l’ADN-AU de son ancêtre.

Après 12 générations, nous ne possédons que .0244% de l’ADN-AU d’un de nos ancêtres. Après 13 générations, il faut diviser cette contribution par 2, et elle n’est que de .0122%.

Ne pas oublier non plus que cet ADN-AU se fragmente et se recombine partiellement à chacune des générations. Après 12 générations,  les chances que ce .0122% d’ADN autosomique présente encore des motifs reconnaissables par un AIM qui aura été mis au point sur une population amérindienne d’origine sont très faibles. Par contre, plus le nombre d’ancêtres de souche amérindienne aura été élevé, plus les chances augmenteront que des motifs aient été préservés et soient reconnaissables par un AIM.

5. L’instrument servant à reconnaître les motifs amérindiens manque de validité.

La validité d’un instrument de mesure réfère à sa capacité de mesurer réellement ce qu’il prétend mesurer. Ici mesurer peut vouloir dire reconnaître les patrons d’ADN amérindiens qui sont ceux des amérindiens de l’Est du Canada. Très peu d’information est révélée sur comment les AIMs ont été dégagés et combinés entre eux, sur quelles populations représentatives ils ont été validés, s’ils l’ont été.  Pour être en mesure de critiquer,  d’évaluer le degré de généralisabilité et la robustesse des AIMs dans une population qui se trouve de plus en plus métissée avec les générations,  ces informations manquent cruellement. Les compagnies qui décrivent nos métissages ne publient pas leurs instruments dans des revues scientifiques et ne permettent pas à la science d’en faire un examen critique.  Leurs instruments de diagnostique des métissages sont alambiqués pour des fins industrielles et commerciales et non pour faire de la science.

Néanmoins, le peu d’information que nous obtenons à propos de ces instruments m’incite à douter de leur validité instrumentale et méthodologique, en tout cas dans leur forme présente.

Par exemple, les populations amérindiennes qui servirent à la mise au point de ces instruments ne couvrent pas les Amérindiens de l’Est du Canada. De plus, les effectifs utilisés pour qualifier ou valider les populations étaient très limités, dépassant rarement plus de 20 individus.

Je ne peux pas ici entrer dans le détail. Le lecteur intéressé peut consulter les publications internes décrivant les procédures et les échantillons de populations qui servirent.

  1. 23andMe: https://www.23andme.com/en-ca/ancestry_composition_guide/#threshold
  2. Family Tree DNA FF: https://www.familytreedna.com/learn/user-guide/family-finder-myftdna/myorigins-methodology/
  3. AncestryDNA: http://dna.ancestry.com/resources/2.42.2/assets/pdf/AncestryDNA%20Ethnicity%20White%20Paper.pdf

Morale. Le généalogiste à la recherche de validation généalogique ou à la recherche de ses origines lointaines ne devrait pas prendre à la lettre les résultats des métissages qui sont livrés par les diverses compagnies de test d’ADN au chapitre de l’ADN autosomique. Nous goûtons ici vraiment à l’aspect spectacle ou « entertainment » de l’ADN. On peut souhaiter que les instruments destinés à décrire nos métissages se raffinent et prennent de la maturité scientifique et davantage de  validité.

Or, même si les instruments de détection étaient tout à fait au point, cela n’empêche pas une perte progressive des motifs amérindiens, de par la nature même du processus de transmission de l’ADN autosomique d’une génération à l’autre.

Postscriptum: 

Une chronique en anglais sur le même sujet: TL DIXON *on Ancestry, Anthropology, DNA, Genealogy, Genetics & My Roots (9 JUN 2015)* :  « NATIVE AMERICAN DNA Is Just Not That Into You »  at http://bit.ly/TLDIXON

Addendum:

Une introgression récente de motifs ancestraux peuvent davantage ressortir dans nos métissages que des introgressions anciennes de motifs qui se sont détériorés avec les générations successives.

Ainsi, les motifs d’ancêtres français composant un pool génétique établi depuis 11 générations vont s’être fragmentés, de telle sorte qu’ils seront moins reconnaissables que ceux d’un seul anglais ou italien récemment arrivé dans notre pool génétique et dont les motifs correspondent à ceux de l’instrument de mesure.